nous avons réussi à lui faire péter les plombs
Le piège était simple : ce profond dément avait l'habitude d'arracher d'un geste rageur toutes les affiches concernant la vie estudiantine. Quand il passait, il faisait très passer à la poubelle tout ce qui était affiché en dehors des panneaux exclusivement réservés à l'administration. Il y avait notamment de temps à autre dans les amphis des affiches "Boum des Aveyronnais". Elles faisaient partie du folklore et étaient toujours sur le même modèle : un loup de Tex Avery. Seuls la date, le lieu et la couleur du papier variaient d'une fois sur l'autre. C'étaient d'ailleurs les seules notes colorées dans les amphithéatres. Ces affiches étaient sa cible de prédilection. Il attendait que l'amphi soit plein et les arrachait d'un auguste geste sec de haut en bas en regardant les étudiants d'un air impérialement supérieur. Clairement il prenait là son pied.
Cela nous a donné une petite idée...
Un soir, nous allons dans un amphi où le dit névrosé doit avoir un cours le lendemain. Nous espérons qu'il y a bien des affiches. Chance : il y en a deux, une de chaque côté du grand tableau. Nous dé-scotchons précautionneusement celle de droite, dissimulons dessous un poster central du dernier numéro de Playboy acheté spécialement pour l'occasion (on se trouve les prétextes que l'on peut!) et re-scotchons l'affiche de boum par dessus.
Le piège fonctionna au delà de toutes les espérances, sans toutefois que l'on fut là pour assister au spectacle parce que, courageux mais pas téméraires, nous avions ourdi la machination afin qu'elle se déclenche avec un autre groupe que le notre. C'est donc par ceux qui furent témoins que nous avons su ce qui s'était passé.
Il avait bien arraché l'affiche de droite en premier, et s'était trouvé tout interloqué devant les charmes brutalement révélés. Puisant au plus profond de lui-même l'énergie de faire bonne figure, il avait décollé le poster sans le déchirer, le posant sur le grand bureau "pour ceux qui voudraient le récupérer". Puis il était allé machinalement arracher l'affiche de gauche sans y préter attention. Sauf que des trublions inspirés par le même mauvais génie que nous avaient aussi piégé cette affiche là en inscrivant derrière, à la craie sur le mur :
J.... est un mandarin
Et c'est ainsi qu'il a fait la majeure partie de son cours avec ce slogan au mur. Ce n'est que vers la fin, alors qu'il déambulait dans l'amphi, comme à son habitude, pour surveiller si les étudiants avaient respecté ses instructions de ponctuation et de couleur, qu'il avait découvert l'infamie. Et il avait crisé pour de bon, piquant une mémorable colère et se lançant dans une diatribe épouvantable. La crise cardiaque ou l'embolie cérébrale qui nous en auraient soulagés restèrent cependant à l'état de voeux pieux.